“Thabo Mbeki propose une élection référendaire ouverte à tous et non une ouverture de l’article 35 avant les élections par l’article 48”
L’ancien conseiller de Mamadou Koulibaly pense que le médiateur Mbeki tout en décidant de rendre éligible tous les leaders politiques ivoiriens respecte la Constitution. “L’élection présidentielle devient référendaire”, précise Dr Ahua Junior.
Le plan final de Mbeki incite à ne plus parler d’Accord mais de proposition. Il serait redondant de reprendre ici le texte proposé par le médiateur sud-africain. Toutefois, chaque mot de son réquisitoire étant important, chaque lecteur devrait le lire plusieurs fois. Il importe cependant de retenir que Thabo Mbeki recommande entre autres, 1) le respect de la Constitution en tout point, notamment la non révision de la Constitution en cas de menace d’intégrité territoriale, 2) la présence d’ADO aux élections et 3) l’utilisation de l’article 48 dans un contexte légal en accord avec le Conseil constitutionnel et l’Assemblée nationale.
Ce casse-tête chinois peut se démêler en se référant d’abord aux deux paragraphes conclusifs du texte de Mbeki, lesquels précisent le contexte dans lequel un amendement de l’article 35 peut être légal en considération des autres impératifs cités plus haut. Thabo Mbeki écrit ceci :
“La Constitution est la charte fondamentale de tout pays. Le médiateur est convaincu que la tâche principale pour le peuple ivoirien est de résoudre la grave crise qui a déchiré le pays et sa population, provoqué la mort et l’exode de nombreux habitants ainsi que la détérioration de la situation économique et sociale. Le médiateur, ayant ces considérations à l’esprit, est convaincu que le défi le plus immédiat pour le peuple ivoirien est le retour à la normale et à la stabilité grâce 1) à la réunification du pays, 2) au rétablissement de l’administration de l’État sur l’ensemble du territoire et 3) à la tenue d’élections présidentielles et législatives libres et équitables. (ATTENTION à la suite!) Ce n’est qu’après que ces objectifs auront été atteints que l’on pourra envisager d’effectuer les amendements à la Constitution de la Côte d’Ivoire qui seraient nécessaires. Ceci offre la seule voie si l’on veut que le processus de révision constitutionnelle contribue à consolider la paix, la stabilité, la démocratie et l’unité nationale”.
En clair, selon le Plan Mbeki, même si ADO doit être candidat par une procédure légale quelconque, en l’occurrence l’usage de l’article 48, la révision constitutionnelle ne devrait survenir qu’après les élections.
Et pour que l’usage de l’article 48 soit légal, il doit se limiter à autoriser la candidature de ADO sans révision de l’article 35, laquelle serait faite seulement après les élections en cas de victoire de ADO. L’article 48 ne servirait qu’à outrepasser le Conseil constitutionnel dans l’examen de la candidature. Légalement, le Président de la République a ce droit.
Ensuite, pour comprendre la suite à donner à ce texte de Thabo Mbeki, il faudrait se référer à la proposition d’élection référendaire que j’ai déjà suggérée dans la presse, dont Kofi Annan avait reçu copie (une précision importante), et dont je vous prie de trouver ci-après les passages pertinents et de convergence avec les préoccupations du médiateur.
I- Rappel sur le nœud gordien de l’éligibilité de ADO
3.1- Brève historique
L’éligibilité de ADO pose un dilemme dans la mesure où le Conseil constitutionnel a déjà statué qu’il est difficile de prouver de façon documentaire sa citoyenneté ivoirienne, tout en prenant acte qu’il a été Premier ministre de la Côte d’Ivoire. Sauf erreur, en un premier temps, ADO s’est dit Ivoirien d’origine et de parents Ivoiriens d’origine, ce qui l’a amené à poser sa candidature aux présidentielles de 2000. Au rejet de sa candidature, il s’est décrit comme une victime de xénophobie. En un deuxième temps, ADO a confirmé le doute entretenu sur son état civil en ne cessant pas de demander la révision de l’article 35 de la Constitution pour qu’il soit adapté à son éligibilité. Ce faisant, le Conseil constitutionnel et la Cour suprême se sont trouvés lavés de tout soupçon de partialité et d’injustice en rendant leurs décisions en 2000 disqualifiant ADO.
Les exigences de l’article 35 de la Constitution
Voici ce que dit l’article 35 concernant les exigences en matière d’état civil du candidat aux présidentielles : “….Le candidat doit être ivoirien d’origine, né de père et de mère eux-mêmes ivoiriens d’origine. Il doit n’avoir jamais renoncé à la nationalité ivoirienne. Il ne doit s’être jamais prévalu d’une autre nationalité…”
L’éligibilité de ADO selon la Cour suprême
La Cour suprême, en appui à la Cour constitutionnelle, avait, le premier décembre 2000, invalidé la candidature de ADO aux législatives pour “nationalité douteuse”. En clair, ADO pourrait ne pas être Ivoirien. Deux mois plus tôt, soit le 6 octobre, la Cour suprême avait évoqué, pour les présidentielles, une panoplie de conditions d’éligibilité additionnelles que ADO ne remplissait pas, notamment la nationalité d’origine de ses deux parents et le fait de s’être prévalu d’une autre nationalité.
Les amendements proposés dans les Accords de Marcoussis ne correspondent pas aux exigences de la Constitution
Les Accords de Marcoussis “ordonnent” de changer la conjonction «et» contenu dans l’expression ”né de père et de mère ivoiriens d’origine” de l’article 35 par la conjonction «ou» et de biffer carrément toutes les autres conditions d’éligibilité reliées à l’état civil. Le problème de ces amendements de Marcoussis est que, une fois ces amendements faits, personne ne peut assurer que la Cour suprême ne pourrait pas rejeter de nouveau la candidature de ADO pour le même motif que celui évoqué lors des législatives de 2000, à savoir que ADO ne serait pas Ivoirien pour incapacité de l’intéressé à fournir un Acte de naissance juridiquement valable ou du moins à convaincre les Autorités constitutionnelles.
Quelle est la formule d’amendement adaptée à l’éligibilité de ADO?
Dans l’hypothèse où la Décision de la Cour suprême, rendue en 2000, est juste, la seule condition pour que la même Cour change d’avis sur l’éligibilité de ADO est que celui-ci apporte à son dossier de nouvelles preuves de sa citoyenneté ivoirienne ou que la Constitution soit amendée selon son état civil reconnu officiellement.
Ainsi, le problème d’éligibilité de Alassane Dramane Ouattara est plus complexe qu’on ne le croit. En effet, la problématique ne se pose pas seulement dans la volonté politique d’amender l’article 35 de la Constitution, ni dans le mode légal pour procéder à cet amendement, mais aussi et surtout dans la difficulté de formuler un amendement qui le rendrait éligible à la Présidence de la République de Côte d’Ivoire et qui, à la fois, ne perturberait pas la paix sociale. En effet, un tel amendement équivaudrait à ôter tout simplement l’article 35 de la Constitution.
3.2- Les ingrédients de base de la solution à la crise
Résoudre le problème d’élection pour résoudre la crise ivoirienne suppose la prise en compte de la cause de la guerre, des enjeux subséquents, de la légalité constitutionnelle et de la paix sociale. Il s’agit d’un pari ayant pour prémisses paradoxales, les trois éléments suivants :
1-ADO doit être candidat (en accord avec la Proposition Mbeki)
Dans le contexte actuel, la candidature de ADO aux élections présidentielles de 2005 n’est pas motivée par le droit, ni par la légitimité, mais par un ensemble de facteurs conduisant à la paix sociale, dont la fin de la guerre, la crédibilité et la reconnaissance internationale des élections et l’obtention de fonds de reconstruction économique afin de soulager la population de ses souffrances.
2-Éviter un référendum sur l’amendement de l’article 35 (en accord avec la Proposition Mbeki)
Un référendum direct a un résultat binaire. C’est Oui ou c’est Non. On perd ou on gagne. Premièrement, faire un référendum sur l’amendement de la Constitution présuppose donc l’existence d’un esprit démocratique tel que les perdants se rallient. Or, au regard du référendum sur la Constitution, tenu les 23 et 24 juillet 2000, adopté avec 86% des suffrages et approuvé par tous les partis politiques, et, malgré tout, de la guerre subséquente en guise de protestation, il y a lieu de craindre que la répétition de l’exercice référendaire ne se fasse pas dans un climat serein. Cela, d’autant plus qu’un résultat défavorable aux révisionnistes pourrait amener les opposants au régime à accuser le camp présidentiel et ses patriotes d’avoir usé de leur droit démocratique et d’avoir fait campagne pour le Non. Deuxièmement, un résultat favorable aux révisionnistes les conduirait à traduire immédiatement ledit résultat en terme de majorité alassaniste et à l’extrapoler sur les élections présidentielles imminentes dont la seule issue anticipée et acceptable pour eux serait la victoire de ADO. Troisièmement, la tenue d’un référendum exige les mêmes conditions de préparation d’une liste électorale fiable que les élections. De ce fait, les dates du référendum et des élections seraient très rapprochées compte tenu de l’échéance fixée en octobre 2005 pour les présidentielles. Enfin, quatrièmement, peut-on trouver une formule d’amendement de l’article 35 qui fasse consensus entre les révisionnistes, les partisans du statu quo et le Conseil constitutionnel ?
3-Éviter le recours à l’article 48 pour changer la Constitution et décréter l’éligibilité de ADO (en accord avec Mbeki qui suggère la légalité malgré l’usage de l’article 48 en proposant l’amendement constitutionnel après les élections)
Les difficultés reliées à l’usage de l’article 48 de la Constitution pour amender l’article 35 sont importantes. Premièrement, le camp présidentiel serait appelé à trouver une formule d’amendement qui serait recevable à la Cour suprême, c’est-à-dire qui rendrait ADO éligible aux présidentielles. Bien évidemment, il y a un raccourci, celui de se contenter d’utiliser l’amendement proposé dans les Accords de Marcoussis. Ce serait un bon débarras, certes, pour le camp présidentiel qui n’aurait pas à se casser la tête. Mais un débarras qui pourrait se transformer très vite en un embarras extrême et un cul-de-sac si la Cour suprême, absente à Marcoussis, décidait, au bout du processus, de l’inéligibilité de ADO malgré l’amendement par décret présidentiel. Deuxièmement, le Président du Conseil constitutionnel, Yanon Yapo, et le Président de l’Assemblée nationale, Mamadou Koulibaly, ont déjà décrié l’illégalité d’une telle procédure et mis en garde le camp présidentiel. Troisièmement, rendre ADO éligible avant le 30 septembre 2004, comme le recommandait Accra III, aurait été une prime à la rébellion qui se serait empressée de désarmer, criant victoire. Leur expression : “Nous avons pris les armes pour que ADO soit candidat” aurait eu son pesant d’or. Cela aurait été un dangereux précédent et un recul démocratique. Ainsi, personne ne rendrait service à la Côte d’Ivoire à long terme si on contraignait le Président de la République à amender la Constitution, unilatéralement et illégalement, sous la menace des armes ou la pression de coup d’État.
II- LA STRATÉGIE APPROPRIÉE (en conformité avec les propositions du Plan Mbeki)
4.1- La solution proposée : une élection référendaire ouverte à tous
Une élection référendaire est une campagne admise dans toutes les démocraties, dont l’issue est double : élire un représentant, en l’occurrence le président de la République et consulter la population sur un sujet, dans le cas présent, il s’agit d’accepter ou non comme candidat et éventuellement comme président de la République, le personnage controversé de ADO. Cette solution est viable pour les deux (2) raisons suivantes :
1-Le Président de la République est élu aux suffrages universels et à la majorité absolue. Ce sont les mêmes conditions qui régissent un référendum.
2-L’aspect référendaire tient du fait qu’une victoire de ADO signifierait une acceptation par la population de réviser l’article 35 de la Constitution. Une défaite de ADO maintiendrait la Constitution dans le statu quo. C’est un peu comme si on avait déjà fait un référendum qui aurait été favorable à ADO mais que le changement constitutionnel serait conditionnel à son élection. C’est une façon élégante, pacifique et légale d’éviter un référendum sous pression pour un oui et donc illégal et conflictuel.
4.2- Le processus légal proposé
Le déroulement de l’élection référendaire se ferait de la manière suivante:
1-Considérant que la candidature d’Alassane aux élections présidentielles est une des causes avouées de la guerre, que la souveraineté du pays appartient au peuple (Art.31 de la Const.) et qu’un référendum sur la révision de l’article 35 serait inefficace pour conquérir la paix sociale, le Président de la République utiliserait les pouvoirs exceptionnels que lui confère l’article 48 de la Constitution pour autoriser ADO à battre campagne sans autorisation préalable du Conseil constitutionnel et sans modification de la Constitution (La proposition Mbeki suggère l’approbation de forme du Conseil constitutionnel en trouvant une formule qui rend cette situation légale, ce qui est résolu par le droit d’usage de l’article 48 sans consentement de la Cour constitutionnel et aussi par caractère référendaire de l’élection présidentielle). Cette ouverture exceptionnelle s’appliquerait à tous les autres candidats pour éviter une distorsion en matière de justice (en accord avec la proposition Mbeki qui parle d’élection sans exclusion).
2-Le décret présidentiel deviendrait caduc si les rebelles ne désarment pas complètement avant une date limite à fixer (Ceci n’est plus nécessaire compte tenu du fait que le désarmement précède le tout et qui serait même en cours selon le Plan Mbeki).
3-En cas de victoire de ADO aux élections, la Constitution serait amendée et adaptée à l’état civil reconnu du gagnant et ce, par les Autorités constitutionnelles et judiciaires compétentes (Le Plan Mbeki propose aussi que l’amendement de la Constitution se fasse après les élections). Dans ce cas de figure, l’amendement de la Constitution précéderait l’assermentation du nouveau président élu.
4.3- Les avantages d’une élection référendaire ouverte à tous (correspondent aux préoccupations soulevées dans le Plan Mbéki)
1-L’annonce de la candidature de ADO devrait mettre fin à la guerre si la rébellion est de bonne foi.
2- ADO aurait l’occasion de sortir de son exil pour battre campagne sur le terrain et défendre sa cause, alors que la tenue d’un référendum sur la révision de l’article 35 ne l’obligerait pas à faire face à la population, laquelle a besoin d’être informée directement par les acteurs concernés eux-mêmes.
3-Ni le camp présidentiel, ni aucune autre institution, n’aurait de formule d’amendement à proposer avant d’aller en élection. Ce qui favoriserait un climat serein avant les élections.
4-La candidature de ADO, étant légitimée par l’ampleur de la pression interne et internationale sur le régime en place, serait une concession politique non illégale et acceptable pour les électeurs dans le contexte d’une élection référendaire. L’éligibilité des uns et des autres serait alors un enjeu de la campagne électorale dont le seul arbitre serait le peuple.
5-Les crimes de la rébellion ou du Pouvoir seraient débattus bien entendu.
6-La légalité constitutionnelle serait préservée, car l’article 35 ne serait révisé qu’après les élections, si nécessaire, et l’article 127 interdisant tout amendement de la Constitution en cas d’atteinte à l’intégrité territoriale serait respecté. Il n’y aurait donc pas de recul démocratique.
7-Il n’y aurait pas de prime aux rebelles qui désarmeraient sans changement de la Constitution mais qui auraient obtenu en contrepartie des élections ouvertes à tous, leur principale revendication.
8-La formule d’élection référendaire, plutôt que celle d’un référendum suivi d’une élection, amènerait à faire des économies d’échelle en terme monétaire, de temps et d’énergie.
9-Le camp présidentiel aurait respecté l’esprit des Accords de Marcoussis et d’Accra III puisque la finalité de toutes ces signatures est, pour les uns, la présence d’ADO parmi les concurrents au poste de président de la République et, pour les autres, le désarmement des rebelles et la fin définitive de la guerre.
10-Les amendements issus de Marcoussis seraient un enjeu électoral. Les révisionnistes feraient la promesse qu’ils changeraient les lois concernées en cas de victoire aux présidentielles et de majorité aux législatives. Les conservateurs promettraient le statu quo (Le Plan Mbeki propose l’adoption de nouvelles lois conformes à la lettre et à l’esprit de Marcoussis. Cependant, comme le Plan Mbeki affirme aussi son attachement à la Constitution, les parlementaires qui le désirent, pourraient proposer en toute liberté l’entrée en vigueur des lois non électorales après les élections seulement, ce qui devrait amener un consensus autour de l’adoption sans débat de la Loi controversée de la nationalité. D’ailleurs cette condition de report de l’entrée en vigueur de certaines lois devrait être une exigence du Président de l’Assemblée nationale pour accepter l’usage de l’article 48 et la transmission à l’Hémicycle des nouveaux projets de lois issus de Marcoussis).
Sauf erreur, les journaux ont annoncé une consultation de divers groupes sociaux que le Président entend faire sur le Plan Mbeki. La pédagogie du camp présidentiel devrait donc s’articuler autour du concept facile à expliquer d’élection référendaire ouverte à tous.
Plus tard, pendant la campagne électorale, les enjeux qui ne manqueront pas, seront débattus pour que chaque électeur ivoirien sans exception, excluant par contre l’ivoirisation massive et illégale de Marcoussis, choisisse le candidat à même de mieux représenter ses intérêts.
Par Dr Antoine Ahua Jr,
Ex-Conseiller Spécial du Président de l’Assemblée nationale
Québec, le 15 avril 2005
antoineahua@hotmail.com